* 1867 – ouverture du testament de Mme de LONGUEIL (9)
Madame la marquise de LONGUEIL, née Marthe Sophie DUBREUIL, décédait en son château de Pigeon le 25/9/1867. Elle laissait pour seule et unique héritière Marie Sophie LABBEY de la ROQUE, sa petite fille, en représentation de Elisabeth Sophie de LONGUEIL sa fille décédée précédemment en 1829, selon notoriété après décès rédigée le 28/10/1867 par Me Brideau, notaire à Mortagne. Mais cette succession était soumise aux conditions imposées par son testament olographe rédigé le 15/9/1854 et déposé au rang des minutes dudit Me Brideau, le 30/9/1867.
copie de la première page du testament
Testament olographe dont voici le contenu :
« Ceci est mon testament :
Je commence par révoquer tous ceux que j’aurais faits avant celui-ci. Je charge ma succession de fonder, établir et entretenir à perpétuité aussitôt après ma mort, dans mon château de Pigeon et ses dépendances, une congrégation religieuse selon les statuts de celle des Dames de la Charité des Orphelines de Marie de la Délivrande près de Caen. A cette fondation j’apporte très particulièrement mon domaine de Pigeon embrassant tous les immeubles qui m’appartiennent et m’appartiendront dans les communes de Saint Hilaire lès Mortagne, Sainte Céronne et Bazoches. Ma petite fille, j’en suis certaine s’empressera d’exécuter ponctuellement et en entier ma volonté formelle, car autrement elle manquerait à sa conscience et à ma mémoire.
Si pourtant, contre mon attente elle pouvait diminuer l’étendue de cette disposition par sa réserve légale, j’entends et je veux que son droit ne puisse s’exercer qu’en dehors de mon habitation et ses dépendances, parce que quoi qu’il arrive, mon château, mon parc et mes bois devront toujours être le siège de l’établissement avec toutes les fermes qui y touchent immédiatement, parce que je ne veux pas que mon habitation et mes propriétés passent dans une famille étrangère.
Je veux être enterrée à Mortagne dans le cimetière de cette ville où reposent mes parents. Je donne neuf cents francs pour faire dire des messes pour le repos de mon âme et je prie ma petite fille de prier et de beaucoup faire prier Dieu pour moi.
Si j’ai offensé quelques personnes, je les prie de me pardonner.
Je donne cinq cents francs aux pauvres de Mortagne pour être distribués le jour de ma mort, soit en pain ou argent selon leurs besoins.je donne aussi pareille somme aux pauvres de Saint Hilaire lès Mortagne pour être distribués soit en pain ou en argent et pour avoir des vêtements si monsieur le curé le juge nécessaire.
Je donne une année de gage à mes domestiques qui sont à mon service depuis deux ans.
Je donne tous mes diamants à mes deux nièces Léonie et Mathilde de la Charpentrie, comme souvenir d’amitié.
Je nomme monsieur Gabriel Brideau, notaire à Mortagne (Orne) mon exécuteur testamentaire, pour que mes volontés soient suivies ponctuellement et je le prie d’accepter à cet effet la somme de quatre mille francs, exempts de tous frais.
Le présent testament fait au château de Pigeon le quinze septembre mil huit cent cinquante quatre.
Du Breuil de Longueil »
Son héritière, Marie Sophie LABBEY de la ROQUE, née en 1829, était devenue orpheline de mère dès la naissance ; sa mère Elisabeth de LONGUEIL épouse de Léopold LABBEY de la ROQUE étant décédé 6 jours après son accouchement. Elle n’a que 19 ans quand décède son père en 1849, année où elle est entrée religieuse à la Vierge Fidèle, sans doute à Notre Dame de la Charité des Orphelines de la Délivrande, maison mère fondée en 1831, située à Douvres (aujourd’hui Congrégation Notre-Dame de Fidélité). Elle rejoint ensuite le couvent et orphelinat de la Vierge Fidèle de Norwood, situé dans la banlieue de Londres, premier orphelinat catholique créé en Angleterre en 1848. C’est dans cet établissement que Marie Sophie, en religion mère Sainte Marie du Carmel, se consacre à l’éducation et à l’instruction des orphelines quand décède sa grand-mère en 1867.
On comprend alors tout le sens du testament de Mme de LONGUEIL. N’ayant pour seule descendance qu’une petite fille religieuse dans un orphelinat, qui était elle-même orpheline de mère à la naissance et de père à 19 ans, elle n’a qu’un désir : que ses biens de Pigeon servent à l’ouverture d’un orphelinat pour jeunes filles.
* 1868 – ouverture de l’orphelinat (18) – (19)
Le 10 février 1868, 4 mois seulement après le décès de Mme de LONGUEIL, s’ouvre à Pigeon, un orphelinat pour jeunes filles sous la direction de Caroline de GISLAIN, religieuse de la communauté de la Vierge Fidèle, en religion Mère Sainte Clothilde, première supérieure de cet établissement. Après plus de trente ans à la tête de l’orphelinat de Pigeon, elle y décède le 15 août 1899 où elle est inhumée dans le petit cimetière du lieu et y sera rejointe par la suite par de nombreuses autres sœurs. Née en 1828 à Ronchères (Aisne), elle était revenue vers les terres de ces ancêtres puisqu’elle était descendante de Jean de GISLAIN, seigneur du Houssay (Bonsmoulins) contre qui les seigneurs de Pigeon étaient en procès vers 1608 (voir chapitre 3 ci-avant).
Dès la première année de fonctionnement, les six sœurs présentent à Pigeon accueillent 28 fillettes, pour la plupart orphelines de mère (apparemment dans le château reconstruit vers 1850 à la place de l’ancien manoir).
* 1878/1880 – construction d’un nouveau bâtiment avec école et pensionnat
Vers 1878/1880 est construit un nouveau bâtiment et le 10 avril 1880 s’ouvre une école dans l’orphelinat ainsi qu’un pensionnat pour recevoir des jeunes filles de Mortagne. Très rapidement on accueille des jeunes de la région (Laigle, Sées, Alençon …) et à partir de 1890 de Paris. Puis après 1920 est ouverte une Ecole de formation agricole et d’enseignement ménager.
* 1954/1955 – travaux importants et ouverture de l’IMP
En 1954/1955, à l’initiative de sœur Anne-Marie Sépulchre, est ouverte une section spéciale médico-pédagogique pour accueillir 25 fillettes débiles légères âgées de 6 à 14 ans. C’est elle qui, à 27 ans, après 4 ans d’enseignement à Douvres la Délivrande et 1 an d’enseignement à Pigeon, prend la direction pédagogique et éducative de l’IMP. L’Association « Foyer Notre-Dame », créée en juillet 1955, dont le but est d’accueillir et d’éduquer des jeunes en difficulté, assure la gestion de l’établissement. La directrice de l’orphelinat, Renée RICHARD, en religion sœur Sainte Madeleine de Pazzi attribue une partie des locaux et du personnel à cette section. Locaux qui avaient fait précédemment l’objet d’importants travaux dans le but de moderniser l’établissement et pour l’ouverture de cette section. Le chauffage central avait été installé en 1951. En 1953, 3 classes avaient été remises à neuf dont 2 destinées à la section médico-pédagogique ainsi que 2 dortoirs également destinés à cette section. En 1954, de nouveaux gros travaux sont effectués : amélioration de l’adduction d’eau, évacuation des eaux usées, amélioration des équipements sanitaires, installation de salle de loisirs, infirmerie avec salle de soins et salle de consultations médicales, plus une salle pour les éducatrices. Enfin en 1955, réfection de la cuisine et installation des douches et salle de bains.
L’établissement est agréé au titre des décrets de la Sécurité Sociale autorisant le fonctionnement des établissements privés destinés à accueillir « des enfants atteints de déficience à prédominance intellectuelle liée à des troubles neuropsychiques exigeant sous contrôle médical, le recours à des techniques non exclusivement pédagogiques pour débiles moyens et légers ».
Désormais, il peut être accueilli à Pigeon 25 fillettes débiles moyennes et légères dans la section IMP et 25 autres cas sociaux dans sa section orphelinat. Cette section orphelinat ferme en septembre 1960 pour laisser place à l’extension de l’IMP qui peut recevoir 45 enfants d’âge scolaire.
* 1966/1970 – IMPRO des Tourelles, mixité
En octobre 1966 s’ouvre l’IMPRO des Tourelles à Mortagne, dans les locaux de l’ancien « Ouvroir » de Mortagne tenu jusqu’alors par les Sœurs du Sacré Cœur de Marie de Chartres, pour l’accueil des fillettes orphelines de l’arrondissement. Puis en 1969 s’ouvrent des semi-internats aux Tourelles et à Pigeon.
L’association Foyer Notre-Dame gère donc, à partir de 1966, les deux établissements :
- l’IMP de Pigeon organisé pour recevoir 45 enfants de 6 à 14 ans en internat + 12 enfants en semi-internat depuis 1969, soit un total de 57 enfants ;
- l’IMPRO « Les Tourelles » destiné à accueillir les jeunes filles sortant de l’IMP de Pigeon et disposant de 24 places d’internat + 12 places de semi-internat depuis 1969, soit un total de 36 adolescentes.
C’est à partir du début des années 70 que l’on assiste à l’accueil de garçons avec mixité dans les deux établissements (agrément en 1971 pour l’IMP de Pigeon et agrément en 1975 pour l’IMPRO des Tourelles).
En 1984 l’IMP de Pigeon (qui va devenir l’IME : institut médico-éducatif), sous la direction de sœur Anne-Marie, accueille dans 5 classes, 56 jeunes garçons et filles en difficulté de 6 à 14 ans, encadrés par 40 adultes (cadres, instituteurs, éducateurs, personnel des services généraux …) dans ce magnifique parc avec jardin et bois d’environ 13 hectares.
* 1996 – construction des bâtiments modernes dénommés : "Centre de vie"
En 1995/1996, quelques chênes centenaires de ce joli parc vont être abattus pour laisser place à des bâtiments plus modernes afin d’assurer de meilleures conditions d’accueil et d’éducation des enfants. On pouvait donc penser que l’IME de Pigeon avait encore un bel avenir devant lui compte tenu de ces importants investissements. Mais c’était sans compter sur l’évolution de la politique d’enseignement et d’intégration de ces enfants en situation de handicap intellectuel.
* 2012/2018 – Mise en place du dispositif médico-éducatif du Perche puis départ des enfants et des sœurs (20) – (21) - (22)
En 2012, l’IME de Pigeon accueillait toujours 55 enfants et adolescents, garçons et filles âgés de 6 à 16 ans, dont 30 en semi-internat et 25 en internat de semaine. Plusieurs partenariats et activités diverses avaient été mis en place ces dernières années :
- partenariat avec la compagnie « Théâtre Bascule » de Préaux dans le cadre d’un projet artistique autour du récit et de l’écriture pour la réalisation d’un album audio jeunesse ; avec participation des jeunes de l’IME aux divers ateliers du projet : écriture du texte, illustrations, jeu théâtral, accompagnement sonore et musical, réalisation des décors …) ; le tout suivi de deux représentations et de deux expositions. Un atelier théâtre existait déjà depuis une dizaine d’année à Pigeon.
- ateliers d’art en partenariat avec la Scène Nationale 61 : ateliers de travail mélangeant magie, photos, peinture.
- partenariat avec des associations sportives locales : section Tir à l’arc de l’USM, Randonneurs du Perche, etc …
- et plus récemment mini ferme découverte avec les animaux sur le site de Pigeon (chien, rongeurs, chevaux …) etc…
Depuis 2012, l’établissement était impliqué dans une démarche de proximité, sous l’impulsion de Sébastien FOSSE, nouveau directeur du dispositif médico-éducatif du Perche.
Ce dispositif regroupait 3 établissements gérés par l’association Foyer Notre-Dame : l’IME de Pigeon à St Hilaire, l’IME du Perche et le SESSAD (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile) à Mortagne qui accueillaient 130 enfants.
Sa mise en place s’est traduite par une inclusion des enfants des IME en milieu dit « ordinaire », scolarisés dans des établissements catholiques de l’Orne selon une nouvelle offre de services voulue par l’Agence Régionale de Santé, en application d’une loi datant de 2005. Cette nouvelle « politique » d’éducation et d’insertion des jeunes enfants en situation de handicap intellectuel voulant qu’il n’y ait plus d’établissements spécialisés et que chaque jeune puisse évoluer dans des environnements quotidiens et professionnels habituels, au plus près de leur domicile, tout en étant accompagnés et suivis par des éducateurs spécialisés.
Le 21 octobre 2016, l’association Foyer Notre-Dame prenait la décision qu’à compter de septembre 2017, il n’y aurait plus d’enfants accueillis à Pigeon. Compte tenu de cette nouvelle orientation d’insertion des jeunes mais aussi en raison de difficultés financières, le domaine devait être mis en vente.
En 2016/2017, les enfants quittaient Pigeon pour rejoindre des établissements scolaires de la région : Mortagne, L’Aigle, Bellême, Alençon et pour rentrer chaque soir chez leurs parents.
Depuis juillet 2017, les enfants et tout le personnel de l’association ont totalement déserté le domaine et depuis cette date, il règne dans ce parc un silence inhabituel, presque pesant, contrastant avec la grande animation qui y régnait depuis 1868.
En octobre 2018, les trois dernières sœurs de la Congrégation Notre-Dame de Fidélité toujours présentes à Pigeon : sœur Anne-Marie Sépulchre qui a dirigé l’IME de 1955 à 1992 ainsi que sœurs Irène Renaud et Marie Bernardon, quittent les lieux pour rejoindre la maison mère à Douvres la Délivrande, soit exactement 150 ans après l’installation de Caroline de GISLAIN.
Les sœurs ont définitivement quitté les lieux, mais près de 35 d’entre elles y demeureront éternellement dans le petit cimetière où elles sont inhumées. Citons notamment : Sr Ste Anastasie-Patry, la première a y avoir été inhumée en 1884 ; Caroline de Gislain (Mère Ste Clotilde), première supérieure de l’établissement † en 1899 ; Renée Richard (Mère Ste Marie Madeleine de Pazzi), directrice de l’orphelinat en 1960, † en 1962 ; J. Jannin (Mère St François Régis) † en 1976 ; E. Marie (Sr St Exupère) † en 1984 ; et plus récemment Marie-Odile Lanery (Mère Marie des Apôtres) † en 2006 et Anne-Marie Fautrad (Mère de la bienheureuse Isabelle de France) † en 2013.
Suite à ces départs, la vente du domaine qui semblait inévitable n’a pas été réalisée à ce jour. Un projet de réouverture serait même à l’étude. Les vœux de la marquise de LONGUEIL, émis dans son testament de 1854, seraient-ils encore entendus et partiellement réalisables en 2020/2021 ? Alors, ainsi que l’écrivait Sr Catherine Déom, supérieure générale de la Congrégation, dans le bulletin de l’ensemble paroissial Ste Céronne : « Tout projet qui pourrait donner un sens renouvelé à ce vaste foncier, ou du moins à certaines parcelles, serait accueilli avec bonheur et soulagement ».
Sources :
(9) AD 61 - série 4 E 125 : archives notariales
(18) Association Foyer Notre-Dame, domaine de Pigeon par Sr Anne-Marie Sépulchre - 1984
(19) Sessad du Perche – historique depuis la fondation
(20) cf articles « Le Perche » et « Ouest-France »
(21) IME du Domaine de Pigeon (sur internet)
(22) Congrégation Notre Dame de Fidélité – bulletin de l’ensemble paroissial Sainte Céronne – 1/10/2018
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